Dans les prochains jours, le militant anti-chasse à la baleine, Paul Watson, saura s’il doit être extradé vers le Japonoù il pourrait faire face à un Peine de 15 ans de prison pour avoir perturbé l’industrie baleinière japonaise. Sur la base d’un mandat d’arrêt d’Interpol émis par le Japon en 2012, Watson a été appréhendé par les autorités danoises en juillet 2024. Il est actuellement détenu dans un prison au Groenland; le tribunal récemment prolongé sa détention jusqu’au 18 décembre pour examiner la demande d’extradition du Japon. Le gouvernement japonais a accusé Watson d’avoir causé des dommages à un baleinier en 2010 dans l’Antarctiqueainsi que d’avoir blessé un membre d’équipage avec une bombe puante.
Malgré un consensus mondial contre la chasse à la baleine, ainsi que soutien international à la cause de Watsonle Japon continue de faire pression pour son extradition. De plus, le pays ne montre aucun signe d’arrêt de son industrie baleinière. Au contraire, le Japon a même lancé un tout nouveau baleinierle Kangei Maru, qui pourra transformer une grande quantité de viande de baleine.
Pour défendre cette position, le Japon affirme que la chasse à la baleine fait partie de son histoire et culturetout en soulignant besoins de l’industrie et sécurité alimentaire. Pourtant, derrière l’arrestation de Watson se cache une préoccupation plus large qui a moins à voir avec une tradition culturelle bien ancrée qu’avec une déclaration sur la souveraineté maritime du Japon.
Mais d’abord, examinons les arguments typiques avancés en faveur de la chasse à la baleine au Japon.
Histoire et culture
Le ministère des Affaires étrangères affirme que le Japon a une histoire immémoriale de chasse à la baleine, remontant à 2 000 ans, lorsque les gens le long des côtes japonaises chasses organisées aux grandes baleines. Cependant, des sources académiques comme l’Encyclopédie Kodansha du Japon démontrent que la chasse à la baleine a en fait une histoire beaucoup plus récente, n’étant devenue une petite industrie organisée qu’au début du XVIIe siècle.
De plus, la chasse à la baleine au Japon n’a jamais été une industrie à grande échelle aussi importante économiquement qu’en Occident. À cause du sakokula politique étrangère isolationniste du Japon féodal qui limitait le commerce international, les baleiniers japonais étaient limités à la chasse à la baleine à proximité des eaux côtières, ce qui limitait considérablement le nombre de captures. À mesure que l’Empire du Japon grandissait au cours de la modernisation du pays, le Japon commença à pêcher ailleurs, notamment près de Taiwan, mais ce n’est qu’en 1934 que le Japon commença à pêcher. Le premier baleinier-usine atteint l’Antarctique.
Contrairement à ces activités à petite échelle, la chasse massive aux baleines véritablement émergé après la Seconde Guerre mondialesous l’impulsion du général américain Douglas MacArthur. Supervisant l’occupation du Japon, MacArthur encouragea conversion de pétroliers de l’US Navy pour la chasse à la baleine pour lutter contre la pénurie alimentaire après la guerre. Pourtant, dans les années 1960, la viande de baleine était déjà en déclin en raison des réglementations strictes de la Commission baleinière internationale (CBI). UN Moratoire de 1986 sur la chasse dans les eaux internationales a encore freiné l’industrie baleinière japonaise. Le pays s’est ensuite retiré de la CBI, mais continue de chasser la baleine sur son territoire. mer territoriale et sa zone économique exclusive (ZEE).
Alors que le Japon possède une culture indéniable autour des produits de la mer, dont la meilleure illustration est peut-être la popularité nationale et internationale des sushis, la génération actuelle de Japonais ne montre pas beaucoup d’intérêt pour la viande de baleine. En effet, les sondages sur la chasse à la baleine au Japon démontrent qu’une majorité de Japonais je n’ai jamais réellement mangé de viande de baleine ou le font assez rarement.
Lors de mes nombreux voyages de recherche au Japon, je n’ai jamais rencontré de Japonais ayant mangé sarashikujiraun plat à base de nageoires de baleine, dont on parle beaucoup moins matsuurazukequi est du cartilage nasal de baleine présenté comme un mets délicat. Bien que considérée comme faisant partie de la culture japonaise, la consommation de baleines est très éloignée de la vie quotidienne de nombreux citoyens japonais, contrairement à la consommation d’aliments plus traditionnels, comme le riz, la soupe miso ou le thon rouge.
Sécurité économique et alimentaire
L’État japonais défend également l’industrie baleinière comme ayant importance socio-économique importante. Toutefois, la chasse commerciale à la baleine est loin d’être rentable. En effet, l’industrie baleinière japonaise fonctionne à perte et ne survit que grâce à de généreuses subventions gouvernementalesqui injecte des millions de dollars chaque année pour soutenir ses pêcheurs.
Par ailleurs, l’industrie baleinière se heurte radicalement à l’image de « Le Japon cool » une stratégie nationale adoptée depuis 2013 pour promouvoir la cuisine et la culture japonaises au niveau international. Alors que le tourisme s’est considérablement développé au cours des dernières décennies, devenant un priorité dans la stratégie de croissance économique du Japonpeu de touristes étrangers montrer de l’intérêt pour la consommation de viande de baleine. Les produits baleiniers sont donc loin de constituer un moteur économique tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.
Après la Seconde Guerre mondiale, le Japon a été confronté à une grave crise alimentaire et en partie eu recours à la chasse à la baleine pour fournir une source supplémentaire de protéines animales. Aujourd’hui, pour un pays qui est la quatrième économie mondiale et qui se classe sixième dans l’Indice mondial de sécurité alimentairel’argument selon lequel les baleines sont un ressource alimentaire importante est tout simplement faux, surtout si l’on considère également la consommation intérieure, qui est négligeable. En effet, alors que la viande de baleine constituait autrefois une source vitale de protéines dans l’après-guerre, sa consommation est aujourd’hui surtout une expérience de luxe, un délice que l’on savoure dans un bon restaurant et qui souvent atteint des prix élevés dans les enchères japonaises.
Souveraineté maritime
Alors que les arguments précédents ne semblent pas convaincants, quels sont les véritables enjeux de l’industrie baleinière japonaise ? Ce ne sont pas des traditions culturelles ; au contraire, la chasse à la baleine est une forte affirmation de l’autorité du pays dans sa propre ZEE. Pour les élites politiques japonaises, toute restriction de leurs activités maritimes – même aussi modestes que la chasse à la baleine – est tout simplement inconcevable, en particulier pour un pays insulaire qui dépend depuis longtemps d’un large éventail de ressources marines pour sa survie et sa prospérité.
Pour mieux comprendre cette mentalité, il est important de reconnaître le fait que les élites japonaises ont historiquement eu des opinions bien arrêtées sur le sujet. « théorie de la nation insulaire » (Shimaguni-ron), un trope qui décrit le Japon comme une terre culturellement unique qui lutte pour la sécurité de ses ressources, souvent en raison d’un manque de terres. Cette idée a toujours fait partie de la vision de l’État, entraînant la conviction que le territoire national doit être défendu à tout prix.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la souveraineté maritime du Japon n’a cessé d’être affaiblie, tout en restant menacée. Par exemple, les industries de la pêche japonaises ont connu des moments difficiles suite aux réglementations internationales, ainsi qu’aux création de ZEE. La montée d’une Chine militariste a également alimenté les conflits territoriaux autour de la Îles Senkaku/Diaoyuune chaîne d’îles contestée entre la Chine et le Japon située dans la partie sud de l’archipel. Plus récemment, la décision du Japon de rejeter les eaux usées radioactives traitées de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi a créé des tensions géopolitiques avec ses voisins asiatiques, notamment la Corée du Sud et la Chine. Différentes interdictions sur les exportations de poisson ont été imposées depuis la catastrophe nucléaire de 2011, entraînant une diminution drastique des produits japonais, ainsi qu’un regain de tensions concernant le contrôle maritime dans la mer du Pacifique.
Dans ce contexte, l’abandon de la chasse à la baleine risque d’être perçu comme une concession sur la territorialité maritime du Japon, confronté à des défis croissants depuis le XXe siècle. Si la chasse à la baleine cesse, l’État japonais pourrait craindre un effet domino concernant de nouveaux compromis au sein de sa ZEE.
En s’accrochant à la chasse à la baleine, aussi impopulaire soit-elle dans le monde entier, les élites politiques japonaises réaffirment avec force leur autorité dans la gestion de leur zone maritime sans interférence des autres États-nations. Pour un pays comme le Japon, une nation insulaire avec peu de territoire et des tropes de longue date sur la valeur de ses mers, adopter des mesures qui limiteraient les droits maritimes est tout simplement impensable. Pour ces raisons, il est peu probable que les Japonais arrêtent la chasse à la baleine, en proie à des discussions tendues sur la souveraineté maritime.